Pensées inutiles

Pensées inutiles

Par Roy Luna

Pourquoi inutiles? Parce que chacun croira ce qu’il veut, et j’aurai de la peine à le convaincre de ma façon de voir le monde et notre condition là-dedans.

Pendant la deuxième décade de ma vie, débutant par l’âge 13 avec l’arrivée de ma crise religieuse, je maudissais Dieu. Oh, comme je Le maudissais, Lui, et son Fils aussi. Et puisque j’étais, à cette époque-là, chrétien, et par surcroît, catholique, je maudissais la Vierge, les Saints, et tous les Prêtres qui en étaient les médiateurs, les intercesseurs, les Gens auxquels il fallait prier pour pouvoir ainsi arriver au Patron. Tous passait par l’entonnoir de ma haine. Eh bien, pourquoi pas, les anges aussi, depuis les archanges jusqu’aux petits putti qui m’énervaient, de toutes façons. Je maudissais aussi le Saint-Esprit, quoiqu’il me fût toujours complètement incompréhensible. Même aujourd’hui, je n’y comprends rien. C’est quoi, le Saint-Esprit; je ne peux même pas l’imaginer. À moins que ce soit vraiment une espèce de pigeon. Mais je le détestait aussi. C’était comme haïr une boufée de fumée ou quelques centilitres d’ether.

Pour dire la vérité, il est difficile de haïr des choses éthérées, des choses qui appartiennent à l’incorporéité, invisibles, qui échappent aux mains, aux poings, aux coups de pied. Autant donner des coups pugilistes à l’air.

Je ne veux pas reproduire ici les années de ma jeunesse, alors il suffira que je dise que je grandis parmi les Américains et que j’étais étranger, gros, et homo. Les autres enfants ne m’ont pas traité comme Jésus aurait voulu qu’ils me traitassent. Ils me donnaient le dos, si j’avais de la chance, et si je n’en avais pas, je récoltais des insultes et des coups de poing. Les Américains ont un stupide adage, «Sticks and stones may break my bones but names will never hurt me.» Celui qui a inventé ce putain de proverbe ne savait pas dont il parlait. Alors mon opinion de dieu quand j’étais enfant n’était pas des meilleures. Et où se cachait tout le monde de sa coterie? Mon ange gardien, par exemple, où diable était-il? Pendant qu’on me battait, lui, et Jésus par derrière, se cachaient derrière l’arbre le plus proche. La Vierge Marie ne descendait pas des cieux lorsque je rentrais chez moi avec la chemise toute ensanglantée. Même le diable n’est pas venu, pour ainsi dire, m’offrir de la vengeance contre mes ennemis. Je crois que j’aurai vendu mon âme pour avoir eu ce plaisir!

Cependant, avec l’âge et la raison, j’ai appris à me passer de dieu et de toute sa sacrée famille. Il est vrai que ma haine passa de dieu à la Nature. Je me disais: Eh, ben, la Nature, elle existe. Elle est là, devant nous, autour de nous. Elle est indifférente à notre existence. En nous promenant dans la jungle, si nous tombons dans une flaque de sables mouvants et nous y disparaissons, la Nature reste impertubable. Pendant que nous nous asphyxions en silence pendant que la boue rentre dans nos poumons par notre bouche et nos narines, la Nature reste indifférente. Elle ne s’en fait pas du tout à notre sujet. Les singes continuent à crier, les papillons à voltiger, les fleurs à s’épanouir. Toute la grandeur de la Nature reste indifférente à notre mort, à notre vie, à notre souffrance, et j’imagine donc que cette grandeur-là n’existait même pas pour nous plaire. Les sacrés textes, une fois de plus, n’ont pas du tout raison: la Nature n’est pas preuve de l’existence de Dieu et la Nature n’a pas été créée pour nous. La preuve de tout ceci est que bientôt nous allons nous exterminer, mais la Nature continuera, peut-être un peu en lambeaux, peut-être un peu contaminée, mais elle continuera sans nous, et elle saura continuer mieux sans nous.

Dieu aussi était indifférent, lorsque je croyais en Lui. Mais quand il cessa d’exister, son indifférence cessa aussi. Ma haine contre dieu se dégonfla. Puis, elle se dissipa comme la rosée du matin devant un fort soleil. C’est en ce moment-là que je commencai à vivre.

Puisqu’il n’y avait plus de dieu à qui vouer ma vie, ou de qui craindre le châtiment, ou vers qui hurler mes récriminations, je décidai de vivre ma vie pour moi tout seul. C’est sûr, je ne suis pas si égoïste que je ne pouvais pas partager ma vie un peu avec ma famille et avec mes amis. Je vouai donc ma vie à ceux que j’aimais, et qui m’aimaient, et cette façon de régir ma vie me plaisait énormément. La haine est lourde à soutenir, spécialement une haine envers ce qui n’existe pas. L’amour pour les gens qui m’entouraient, ça valait vraiment la peine. C’était une façon positive de vivre. Tout allait bien.

Vous pouvez bien imaginer que depuis ce moment où je cessai de croire en dieu je vivais avec le cœur léger et l’esprit calme. L’idée de dieu s’en était allée comme une bouffée d’air sans conséquence, juste comme la généalogie de Jésus-Christ, que je n’ai jamais comprise non plus. Pourquoi avoir passé tout ce temps, tout cet effort—deux fois!—pour se donner de la peine à établir la longue liste des ancêtres de Jésus, quand Jésus n’était même pas le fils de Joseph? Ces gens-là qui ont écrit la bible n’avait aucune idée de ce que c’est que la logique, la raison, même la vraisemblance! Jésus était le fils de dieu, alors, dieu n’a pas de généalogie! C’est lui, le premier, le seul, l’unique, sans antécédence. Il n’a pas d’aïeux! Donc, ces efforts d’établir une généalogie étaient purement inutiles. De l’énergie perdue, gaspillée! À moins que Jésus n’était véritablement pas le fils de dieu et qu’il était, sans mentir, le fils de Joseph… Ce genre de pensée m’aurait fait brûler vif dans la place publique la plus prochaine il y a quelques siècles. Il faut quand même être content de vivre dans un lieu et dans une époque où l’état et la religion sont séparés. Même si les fervents cherchent incessament à les unir, les niais.

Ça fait des années que je vis sans trouble spirituel et sans colère contre le destin. Peut-être que je suis arrivé à un moment stoïque dans la vie où j’accepte les vicissitudes de la fortune comme j’accepte le lever et le coucher du soleil. C’est comme ça, le monde, n’est-ce pas? Les seuls moments où je sens encore de l’inquiétude c’est quand les croyants m’attaquent et me traitent d’ignorant et d’immoral. Moi, je n’attaque personne, et je n’essaie jamais de convaincre mon voisin des délices de l’athéisme. Mais eux, ils se donnent beaucoup de peine de m’expliquer ceci, et de me faire voir cela, et moi, poliment, au début je leur répondais que toute leur édifice est basée sur une écriture qui est loin d’être sainte. Pourquoi avoir parlé! Ils se lançaient alors dans toute une péroration sur la sainteté de la bible et moi je leur parlais des horribles crimes de dieu et puis eux… Arrêtez! arrêtez! Je suis arrivé à cet âge après avoir souffert toutes les indignités qu’occasionne la religion. Vous n’allez pas croire qu’en un instant vous pourrez annuler toute ma façon de penser. J’ai très bien choisi pour moi, et je me sens très bien dans ma peau. Donnez-moi la liberté d’être athée; je vous donnerai la liberté d’être ce que vous voulez, de penser mille imbécillités, jusqu’au point où vous commencez à fouler aux pieds les droits des autres, et mes droits à moi.

Ah! Voltaire avait raison lorsqu’il écrivit:

“N’est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n’en aient pas? Il faut être prudent, mais non pas timide.” (Dans ses Pensées détachées de M. l’Abbé de Saint-Pierre.)

Eh bien, dorénavant, j’aurai plus de zèle pour mon athéisme. C’est bien d’être athée! C’est super, même! Nous vivons pour le présent, pas pour une existence en perpétuité aux côtés du seigneur. Nous ne cherchons pas au paradis un grand nombre de vierges, surtout moi! Nous péchons, comme tout le monde, mais nous n’avons pas de méchanisme de nous faire pardonner nos péchés et ainsi recommencer à zéro. Notre système moral arrive de la règle d’or (l’éthique de réciprocité) et non pas des instructions d’un dieu qui quelquefois ordonne à ses croyants de tuer les autres dans son nom. Et comme (presque) tout le monde, nous désirons de vivre en paix, et si vous nous aggressez, nous défendrons nos croyances et notre manière de vivre.

Juste comme lorsque j’étais enfant. Quand on m’aggressait, je levai les poings. Ça faisait une grande différence.


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About the author

Roy Luna: Roy Luna is a retired French professor who dabbles in the arts, tinkers with music, reads heavily in fiction and history, but does not neglect biographies or science. His main efforts these days are devoted to writing a trilogy of novels based on events occurring during the years between the death of Voltaire (1778) and the French Revolution (1789-94), years rich in both enlightened human progress and dark, evil terror. Three times a week he volunteers at Dunbar Old Books, making sure orphaned books find their way to other readers. His library at home may have surpassed the 10,000 mark, and he valiantly tries to read them all… The one important thing to retain about Roy is his horror at the sins, the injustice, the atrocities, the crimes against humanity that are perpetrated and justified in the name of religion. Any belief system that condones such savagery has discarded its humanity, abandoned its compassion, and forsaken its principles of empathy, tolerance and love of one’s neighbor.


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